Devant un monde de plus en plus complexe et les insatisfactions permanentes qu’il génère, l’injonction du « lâcher prise » est devenue commune. Le « lâcher prise » comme un remède miracle pour arriver à accepter un résultat ou une situation inférieurs aux attentes. Une expression passe partout, facilement synonyme pour certains de « finalement je m’en fous » ou « en fait le plus important c’est mon confort et ma santé». Un pansement aussi rapide qu’inefficace sur les plaies de l’insatisfaction personnelle et professionnelle. Alors faut-il vraiment « lâcher prise » et si oui comment ?
Vétérinaire est probablement est un des métiers qui conduit à traverser rapidement le plus d’émotions, bien souvent dans un yoyo brutal et permanent. Le praticien passe régulièrement dans la même journée de la satisfaction d’un succès thérapeutique à la colère générée par un client difficile et injuste, du découragement devant des factures impayées d’un client de mauvaise foi à la joie de voir un animal opéré repartir sur ses 4 pattes, de la douleur de l’euthanasie devenue inévitable du chat suivi depuis des années au plaisir du geste technique réussi et aux remerciements du client fidèle, de la peur de ne pas réussir un entretien de recadrage à l’excitation d’une formation technique, … Les raisons d’être confronté à des émotions fortes et fluctuantes sont ainsi très nombreuses pour le praticien
La gestion des émotions négatives passerait par ce fameux « lâcher prise », permettant de gommer tous ces « down », tous ces « bas », tous ces moments qui nous plombent lorsqu’on fait le bilan de la semaine. Alors comment y parvenir ?
Tout d’abord en prenant conscience que ces émotions ne sont que le fruit de notre propre représentation, la conséquence de l’interprétation que nous faisons des événements. Les actes ne sont intrinsèquement ni bons ni mauvais, mais ils nous touchent différemment par rapport à ce que nous attendons, que nous espérons. Et donc lâcher prise signifie probablement d’abord comprendre que nous sommes pilotés par nos émotions et nos ressentis, que la racine est bien en chacun d’entre nous et que nous pouvons donc agir en effet. Commencer par accepter de ne pas toujours pouvoir tout faire, de ne pas tout maitriser et au contraire chercher à décrypter ce qui nous pousse dans la tristesse et la désillusion quand cela arrive. Cela signifie se détacher des événements qui se déroulent devant nos yeux et qui vont provoquer de tels ressentis dans nos cerveaux, nos cœurs et nos corps. Pour le philosophe Alexandre JOLIEN qui a beaucoup réfléchi au lâcher prise, « le détachement n’est pas l’indifférence, c’est une distance par rapport à son propre point de vue ».
Ensuite il convient de ne pas se laisser berner par notre propre mémoire, si prompte à déformer la balance émotions positives / émotions négatives. Ce filtre nous laisse à penser que les clients mécontents sont extrêmement nombreux, capable de masquer tous les clients satisfaits. Car le plaisir de la démarche diagnostique réussie ou du geste technique parfait devient facilement la norme dans la tête du praticien, les remerciements des clients heureux sont inaudibles ou évanescents. Par exemple un avis client 1* sur Google va générer un dégoût, une insatisfaction bien plus perceptible et durable qu’un avis très positif à 5*. Alors que les premiers sont extrêmement rares par rapport aux retours très favorables habituels. Ce qui conduit en réalité à une moyenne traditionnellement très élevée dans les cliniques vétérinaires, comprise entre 4 et 4,5*. Ecrire la liste des clients difficiles ou irrespectueux permet de visualiser très facilement qu’ils ne sont en réalité qu’une toute petite minorité, alors qu’ils nous encombrent très souvent la tête.
Pour Alexandre JOLIEN toujours, « lâcher prise, c’est apprendre à flotter ». C’est-à-dire être dans le juste milieu entre couler et surnager. Couler, sombrer peut survenir en étant plombé par ses propres émotions, en s’oubliant jusqu’à ne plus agir, se décourager et ne plus avoir envie de nager. Et surnager, c’est parfois se débattre de manière désordonnée, peu efficace, pouvant conduire à l’épuisement. Pour d’autres, surnager signifie être au-dessus de la mêlée, être totalement désengagé de ses actes et de leurs conséquences, ne pas se soucier des réalités. Car le lâcher prise, ce nécessaire détachement, ne signifie pas de ne plus avoir de comptes à rendre, de se moquer de la qualité de son travail et de ce que pensent les clients et les salariés.
Ainsi le lâcher prise c’est d’abord choisir ses batailles, celles d’intérêt et celles inutiles car perdues d’avance. Car comme le souligne Epictète «il y a ce qui dépend de moi et ce qui ne dépend pas de moi ». Donc lâcher prise c’est déjà se concentrer sur ce qui dépend de moi.
Et ensuite lâcher prise en tant que tel est finalement un risque, comme le grimpeur qui lâcherait sa prise dans son escalade, comme le trapéziste qui glisserait inexorablement. Et aussi comme un enfant sur le bord du tourniquet qui lâcherait les mains aux risques de tomber et de se blesser gravement ! Alors pour se sentir en sécurité et être moins vulnérable, la meilleure solution n’est-elle pas de se recentrer pour moins subir la force centrifuge qui pourrait nous conduire à tomber du manège ? Revenir au centre du tourniquet pour moins subir, se centrer sur ce qui est important pour soi pour diminuer l’effet des tourbillons du quotidien. Prendre par exemple conscience que l’évaluation négative par une personne anonyme, incompétente et pilotée elle-même par ses émotions négatives, ou par sa volonté de toute puissance, doit être intégrée à l’aune à la fois de tous les retours positifs des autres clients, et de toute l’implication et la conscience professionnelle portées à ce client. Se recentrer que ce qui dépend de moi, prendre bien conscience de tout l’engagement mis à faire de son mieux. Être certain sincèrement et authentiquement de mobiliser tous ses moyens disponibles pour réaliser sa mission est le meilleur pour « apprendre à flotter » et mieux vivre son engagement vétérinaire.
Et ainsi, si mieux encore que le lâcher prise, on essayait le recentrage ?
Articles récents
Inscription à la newsletter
Retrouvez-nous sur LinkedIn